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Une résistance multiforme

Le Directeur du Collège Chaptal évoque dans son discours à la fin de l'année scolaire 1944-1945, les différentes formes prises par la Résistance à Chaptal. Il évoque trois groupes clandestins oeuvrant à Chaptal, l'un rassemblant les professeurs, l'autre les agents de service, un troisième des surveillants et des grands élèves. Le discours mentionne les réunions clandestines qui se tiennent à la Chapelle du lycée. Il précise les différentes formes d'action : distribution de tracts et de journaux clandestins, fourniture de fausses cartes d'identité, collectes d'argent destinées aux maquisards, entraînement au maniement des armes et au combat, renseignements collectés et transmis à Londres sur les défenses allemandes et les mouvements de leurs troupes. Deux de ces tracts qui ont circulé à Chaptal ont été retrouvés aux archives de la préfecture de police de Paris.

La Résistance ne passe en effet pas que par le combat. Elle se manifeste au quotidien par une série de gestes simples mais courageux. En février 1942, le Préfet des études du Collège Chaptal, à Paris, reçoit la visite des SS. On recherche un élève, Joël Weiss, âgé de dix ans et dont le père, commerçant israélite installé à Paris, a été arrêté au cours d'une tentative de franchissement de la ligne de démarcation avant qu'il ne parvienne à s'évader. Le Préfet des études fait attendre les SS dans son bureau tandis qu'avec la complicité du professeur de Joël, on fait sortir l'enfant par une porte du collège donnant sur la rue de Rome pour annoncer ensuite aux Allemands que l'élève Joël Weiss ne s'est pas présenté au collège le matin.

Le discours du directeur mentionne aussi les "Croix de Lorraine en papier multicolore, qui, dès 1940, se répandirent subrepticement sur les marches de nos escaliers, se dessinèrent sur les murs de nos classes ou s'inscrivirent sur le bleu des vitres préparé pour la Défense Passive", "les "V" s'enlaçant aux Croix de Lorraine, que des billets de métro adroitement découpés reproduisent par milliers". Les lycéens et les professeurs arborent une cravate noire "portant ostensiblement le deuil de la patrie asservie". Le 14 juillet 1942, un drapeau tricolore est mystérieusement hissé sur la terrasse qui domine l'horloge du Grand collège.

UNE RESISTANCE MULTIFORME

 

Le discours du directeur du Collège Chaptal, prononcé en 1945, décrit la vie de l'établissement pendant la guerre. Bien qu'obligé de quitter ses fonctions en janvier 1941, il utilise les notes prises par son "fidèle compagnon", M. Vardème.

Sont signalés dans ce discours plusieurs actes de résistance :

  • "Croix de Lorraine en papier multicolore, qui, dès 1940, se répandirent subrepticement sur les marches de nos escaliers, se dessinèrent sur les murs de nos classes ou s'inscrivirent sur le bleu des vitres préparé pour la Défense Passive", p. 8.

Tract 1 ayant circulé à Chaptal
Tract ayant circulé au Collège Chaptal

Tract ayant circulé au Collège Chaptal.
Archives de la Préfecture de police de Paris.

Objets mis sous scellés, 1940

Objets mis sous scellés, dont les cravates noires arborées par les étudiants et leurs professeurs pour manifester contre l'occupation allemande.
Archives de la Préfecture de police de Paris.

Tract ayant circulé au Collège Chaptal.
Archives de la Préfecture de police de Paris.

  • "[...] manifestation du 11 novembre 1940 à l'Arc de Triomphe de l'Etoile, 5 des nôtres peuvent se glorifier d'y avoir essuyé les premières rafales des mitraillettes allemandes et d'avoir les premiers connus la douceur des prisons pour leur patriotisme inconsidéré"

  • "C'est en juin 1941 qu'à Chaptal, comme dans tous les lycées parisiens, éclate la manifestation des cravates noires, portant ostensiblement le deuil de la Patrie asservie"

  • Année scolaire 1941 - 1942 : invention de la francisque et jeunesse conviée au port de l'insigne : "Cette provocation suscite une campagne d'inscriptions sur les murs, les vitres, les tableaux noirs : les "V" s'enlaçant aux Croix de Lorraine, que des billets de métro adroitement découpés reproduisent par milliers", p.8-9.

  • "A la visite de l'exposition antibolchévique répondent les tracts qui commencent à circuler", p.9.

  • "Le 14 juillet, sur la terrasse qui domine l'horloge du Grand Collège, flotte, mystérieusement hissé, un grand drapeau tricolore. Il sera mystérieusement recueilli et rangé pour protéger de ses plis les premiers exploits de la libération du 17ème, et garder dans son étoffe, doublement glorieuse, les traces des mitrailleuses allemandes", p.9.

  • En ce qui concerne le STO, "Les tracts  de protestation qui prêchent le refus et la désobéissance se multiplient", p.10.

  • "Cest à la rentrée de cette même année 1943, que s'organisent méthodiquement au collège les groupes clandestins de résistance. Il y en eût trois, qui spontanément prirent naissance, et, suivant une règle nécessaire, d'abord s'ignorèrent. Ils n'entrèrent en contact que bien plus tard, grâce à des intermédiaires du dehors : l'un rassembla les professeurs, l'autre des agents de service, un troisième des surveillants et de grands élèves", p.10.

Un exemple de courage ordinaire. Joël Weiss était élève au Collège Chaptal. Les Allemands, à la recherche de son père poursuivi pour franchissement clandestin de la ligne de démarcation, sont venus arrêter son fils au Collège, en février 1942. Le petit Joël, âgé de 10 ans, a réussi à s'échapper grâce à la complicité de ses enseignants et de l'administration du Collège. Pendant que les Allemands étaient retenus dans le bureau du Préfet des études, le professeur de Joël est parvenu à le faire sortir du Collège par une porte donnant sur la rue de Rome. Joël Weiss a réussi ensuite à rejoindre sa famille dans le sud de la France. Il est devenu, adulte, éducateur pour les enfants à la rue.

JOEL WEISS : PORTRAIT

 

Le Monde, lundi 22 avril 1985.

Au terme d'une longue errance, le gamin retrouve les siens dans le Sud-Est. En Savoie, puis en Isère, il vivra dans la clandestinité, portant des plis aux résistants, petit télégraphiste de l'armée des ombres. Un jour, à Allevard, il restera caché pendant huit heures sous un tas de charbon, dans une cave, tandis que la Gestapo française fouille les lieux. Dans les maquis, il côtoie des jeunes de quatorze ou quinze ans qui mourront au combat : "J'ai vu mourir des gosses." Il n'oubliera jamais que la vie est tragique et que, lui, il s'en est sorti.

Plus de quarante ans après, Joël Weiss, quand vient la nuit, sort dans Paris. Il n'est plus recherché, il recherche. Il rôde, il tourne, à pied, en voiture. Il arpente en tous sens les hauts quartiers où l'enfance perdue vit sa clandestinité mercantile, dans les maquis des plaisirs interdits. Il part seul vers neuf heures du soir. Il revient vers minuit ou deux heures du matin. Il parle aux isolés. [...] Ce quinquagénaire qui n'a pas d'enfants - "J'ai ceux des autres" - a un métier (conseiller technique dans une société de services) qui l'occupe mais, surtout, une passion qui le préoccupe, résumée par cette formule passée de mode utilisée dans un tract électoral qu'il a conservé : "Une vie au service des autres." [...]

Lycéen, il crée, à quinze ans, une association d'aide aux jeunes tuberculeux. Soldat, dans les années 50, il convainc le colonel de son régiment de lui confier l'organisation de l'alphabétisation des recrues qui en ont besoin. En 1956, il crée les Carnot Roller Skaters, club de jeunes lycéens qui font du basket à patins à roulettes et se produisent dans la France entière au cours de matches d'exhibition, pour aider des jeunes handicapés. Le club vivra un quart de siècle.

En 1960, Joël Weiss s'intéresse à une célèbre bande de "blousons noirs" (les "loubards" de l'époque), la bande des Batignolles. En 1978, il est le premier à dénoncer les conditions de vie des vieux à l'hospice de Nanterre et obtient la suppression de véritables mitards, ces cellules disciplinaires où l'on plaçait, pour les punir, ceux qui ne se tenaient pas bien ... L'année précédente, il avait aussi fait condamner "le tortionnaire de Mandarine, la petite ânesse du jardin du Ranelagh" ...

Et toujours cette passion pour les "jeunes en danger moral", comme on dit dans les textes réglementaires. [...]

Notre éducateur autodidacte ne recherche pas les honneurs : "Je ne demande pas qu'on me donne la Légion d'honneur comme à Brigitte Bardot qui défend les chiens, mais quand même." Il a trois idées. D'abord qu'on crée dans chaque grande mairie "un bureau d'accueil pour les jeunes en danger", car "les fugueurs viendraient s'y confier plus aisément qu'à la police ou à la justice". Ensuite, qu'on organise toutes les semaines à la télévision une émission sur les enfants disparus de la semaine. Enfin, il voudrait bien être nommé ... au Conseil économique et social : "J'ai fait une demande il y a six ans, je l'ai refaite auprès de M. Mauroy, puis de M. Fabius." Curieux projet : "Cela me permettrait tout en restant un  homme de terrain, de faire des rapports." On ne fait rien sans un peu de naïveté.

Quand Thierry a accepté de quitter le trottoir et de le suivre, Joël Weiss a pleuré : "L'histoire de ce gosse pour moi, c'est le plus beau des cadeaux, ça vaut le Loto." Un coeur gros comme ça, ça peut donc rapporter gros?

Bruno FRAPPAT.

CHERCHEUR D'ENFANTS

 

C'est épuisant d'avoir du coeur. Joël Weiss est exténué. Les yeux cernés, les paupières lourdes qui luttent contre la fatigue, la nervosité visible qu'il tente de combattre par une succession de cigarettes : la lassitude extrême et, pourtant, une certaine forme de bonheur inoubliable, l'un des plus beaux moments de sa vie assurément.

Joël Weiss est cet homme de cinquante-deux ans, éducateur de rue bénévole qui vient de forcer l'admiration de la France en repêchant sur le trottoir parisien une épave de la prostitution juvénile, Thierry, le "tapineur" qui n'avait pas quinze ans. En huit jours, cent cinquante journalistes ont appelé.

On connaît l'histoire. Elle commence il y a quelques semaines par la fugue d'un gamin de Paris qui plaque tout et part avec quarante francs en poche. Disparition. Signalement. Recherche. C'est Joël Weiss qui le récupérera , après avoir été alerté par un membre de la famille. Il le repérera nuitamment dans un quartier de drague du Paris inavouable et, après une filature efficace, le persuadera de cesser le commerce qu'un proxénète père de famille organisait à son seul profit, en s'aidant de drogues dont il intoxiquait son protégé.

Joël Weiss est un homme plutôt petit, mais de forte corpulence, le visage massif, une silhouette à la Louis XVIII vu par les caricaturistes. Des allures d'entraîneur d'équipe de rugby de deuxième division. Mais cet homme se distingue de ses contemporains par une étrange manie qui consiste à s'occuper de ce qui va mal pour tenter de faire en sorte que cela aille mieux. Il fait "dans le social" comme d'autres font dans le bricolage, la pêche à la ligne ou le sport.

La dette

La solidarité - nom moderne de la charité - est son hobby, le combat aux marges de la société est sa passion. Il ne voudrait pas en tirer gloire, et, si le bruit fait autour de son dernier exploit lui paraît positif, c'est moins pour le profit qu'en tirerait sa vanité que pour la publicité donnée à l'une des plaies sociales que ce don Quichotte veut combattre : la prostitution des mineurs. Je ne suis pas un détective privé bénévole ni un saint. Je crois simplement  être un homme de coeur. Et puis, j'ai une dette."

Quelle dette?  Lointaine déjà. En février 1942, le censeur du lycée Chaptal, à Paris, reçoit la visite des SS. On recherche un élève, Joël Weiss, âgé de dix ans et dont le père, commerçant israélite installé à Paris, a été arrêté au cours d'une tentative de franchissement de la ligne de démarcation avant qu'il ne parvienne à s'évader. Si l'on tenait l'enfant ... Le censeur fait poireauter les SS dans son bureau tandis qu'avec la complicité du professeur de Joël on fait sortir l'enfant par une porte du lycée donnant sur la rue de Rome. "Désolés, messieurs, mais l'élève Joël Weiss n'est pas venu en classe ce matin. "A dix ans, il est à la rue, recherché : une fugue, en somme." Oui, dit-il aujourd'hui, c'est ça, une fugue." Mais à la manière de l'époque pour qui était juif et avait aux trousses la police allemande et ses complices français. Pas vraiment une recherche dans l'intérêt des familles.

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