Jean Pacton,
dit "Ardent"
Né en 1925, il anime la résistance des collégiens de La Châtre dès la fin de 1941. Son groupe rédige et distribue des tracts. Il rejoint le réseau de résistance Armée secrète sous le nom d'Ardent. Il en est, pour le groupe AS de La Châtre, l'agent de liaison et le responsable. Il poursuit ses études en 1943 à Paris, au Collège Chaptal. Il revient à La Châtre en mai 1944 et rejoint le maquis de l'Indre. Il est nommé Aspirant des F.F.I. Le 17 juillet 1944, montant sur un pylône pour surveiller d'éventuels mouvements d'Allemands, il touche un fil électrique et tombe, se fracturant la colonne vertébrale. Il est ramené à son domicile à Montgivray où il meurt le 27 juillet.
NOS MORTS
Jean Pacton "dit Ardent"
Au lendemain des combats de Vijon, j'allais visiter le bataillon de Dubreuil et je me souviens de ma douloureuse stupéfaction quand on m'annonça : "Ardent vient d'avoir un accident grave. Le docteur ne répond pas de sa vie".
Dans mon émotion, j'imaginais notre dernière entrevue. Nous marchions côte à côte dans un chemin creux de cette terre berrichonne qu'il aimait tant et il me confiait les difficultés de son commandement, les petits ennuis quotidiens de son métier de chef, et surtout ses pensées, ses espérances, ses joies, ses amours. Il avait ce jour là une chemise bleue à col ouvert, un short de même couleur et de gros souliers qui s'enfonçaient solidement dans la terre. Il était la jeunesse dans toute sa force dynamique, ce jeune Aspirant qui entraînait son groupe franc à l'action avec une audace et une hardiesse telles qu'elles lui valaient presque journellement des remontrances pour son imprudence.
Combien de fois l'ai-je vu pénétrer dans mon bureau, les cheveux en bataille, l'oeil brillant de colère. "Ils ne comprennent pas, ROBERT, ils ne comprennent pas. Je n'ai pas assez d'armement, on m'interdit de faire des actions, mes types gueulent parce-qu'ils s'ennuient et il y a des boches à Châteauroux. Va-t-on nous faire battre, oui ou non? "
Il fallait le calmer, lui expliquer à nouveau qu'il y a un temps pour tout, qu'il fallait instruire les hommes, que le courage consistait bien souvent pour un militaire à savoir obéir.
Peu à peu, il se calmait. Son sourire, si large, illuminait son franc visage.
"Je comprends, mon vieux ROBERT, mais, bon Dieu! que ça vienne vite. On l'a tellement attendu ce moment, tu te souviens?"
Nous partions alors sur des souvenirs communs et nous en avions de bien chers ensemble.
C'était lui, et son ami Gaston LANGLOIS, qui nous avaient accueillis à La Châtre quand les hasards de notre vie illégale nous y avaient conduits, Bernard, Gérard, Achille et moi. Il s'était mis à notre disposition avec gentillesse et nous n'avions pas tardé à découvrir en lui l'étoffe d'un jeune Chef.
Il avait commencé l'action très tôt, avec l'équipe du Lycée. Je le revois au milieu de ses camarades, Pierrot, Marcel et tous les autres, réunis dans une petite ferme aux environs de Briantes, quand Achille leur expliquait la technique de l'Armement si pauvre dont nous disposions et celle du sabotage. Je le revois dans ma chambre de la Croix Verte quand nous abordions ensemble les problèmes politiques. Bernard et Gérard se souviennent comme moi, sans doute, du jour où nous avons rédigé, avec lui, pour un journal clandestin, un article sur l'Esprit révolutionnaire. Il avait bien compris que la résistance n'était pas seulement un combat militaire et nous avions l'espérance en ce temps-là de bâtir une France grande et propre, où seraient châtiés les coupables.
Au moment où partaient les premières directives d'organisation de ce qui allait devenir le Groupe Indre-Est à la formation duquel il a tant contribué, il se donnait à toutes les tâches avec un dévouement et une énergie inlassables. Il ne pensait qu'à sa mission, parcourait en vélo des centaines de kilomètres pour assurer les liaisons, polycopiait chez lui les notes de base, (avec la pâte qui lui avait servi en 42 à rédiger ses premiers tracts), attaquait la poste de Châteaumeillant pour se procurer l'indispensable argent, étudiait le plan des coupures à faire, assurait son instruction militaire et celle de ses camarades, courait de MIGNATON à DUPLEIX, entraînait, soulevait tout son monde par son énergie, son exemple et sa foi invincible.
Le 6 juin, je l'ai retrouvé casqué, armé, dans un chemin creux près de La Châtre. Il avait emmené avec puérilité du pain et du fromage et m'invitant à partager son repas, il rayonnait de bonheur. Je crois bien que je ne l'ai jamais vu aussi heureux.
"Quand nous reviendrons à La Châtre, disait-il, nous ferons ceci, nous ferons cela ... " Ce n'était pas les projets qui lui manquaient! Lors de notre première entrée dans la ville, la maladie l'avait alité et il n'avait pas pu participer à l'opération. J'avais dit : "Nous allons regagner nos maquis et nous reviendrons un jour en vous disant : La Châtre est définitivement libérée." Ce jour là est venu mais ARDENT n'était plus avec nous. L'implacable mort avait, entre temps, fait son oeuvre.
Je l'ai vu sur son lit de souffrance au moment où l'on allait tenter l'impossible opération qui devait lui sauver la vie.
Nous avions anxieusement interrogé les docteurs et ils ne nous avaient pas caché le peu de chances de succès. Ils nous avaient montré la radiographie où l'on voyait la colonne vertébrale terriblement brisée. Malgré cela, nous refusions de croire que cela fut possible. Nous lui connaissions tant de vie, tant de ressources, il était si présent dans nos coeurs, que nous avions l'impression d'une injustice.
On m'avait dit : "Vous allez le voir, mais ne le fatiguez pas. Restez peu de temps."
Il avait la moitié inférieure du corps paralysée, sa main était atrocement brûlée, et il avait pourtant un confiant sourire. Il m'a parlé des camarades du groupe, de ce qu'il y avait à faire, de nos espérances communes. Sa lucidité était parfaite et l'embrassant fraternellement avant de le quitter, je ne pouvais m'imaginer malgré toutes les apparences que c'était la dernière fois ...
Et pourtant ...
Et pourtant, il a rejoint dans nos mémoires le nombre si grand, hélas! de ceux qui tombèrent pour nous permettre de vivre libres. La Châtre attristée et entière lui a rendu les derniers devoirs, mais je crois bien que le plus bel hommage n'est pas celui-là.
Le plus bel hommage, c'est la place qu'il tient encore dans notre équipe. Jamais plus nous ne traverserons la vallée noire sans une pensée pour lui. Jamais plus nous n'entreprendrons quelque chose sans regretter qu'il ne soit pas à nos côtés. Et l'on peut bien être sûr qu'il n'a point gâché sa courte vie puisque plusieurs fois déjà depuis qu'il nous fut ravi, j'ai entendu dire alors que l'on cherchait les hommes indispensables :
"Ah! si ARDENT était là ..."
Lieutenant-Colonel ROBERT, Le Bazouka, [s.d.].
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